Santo Subito
Par Josée Pilotte
Je m’étais arrêtée pour regarder une vieille dame effeuiller un artichaut. J’adore les artichauts frais, même si je les trouve chiants à décortiquer. J’étais donc tombée sous le charme de cette vieille dame aux mains usées par le temps qui tout en tournant l’artichaut d’un geste précis et rapide, engueulait son mari avec amour.
– T’as vu Chéri, la dame, on lui en achète?
– Chéri…?!?
Il a disparu…
J’ai continué à flâner au marché. Je m’extasiais comme une folle devant les citrons frais, humais l’odeur des tomates – fraîches aussi -, goûtais aux olives, souriais à pleine dents comme une niaiseuse au beau Sicilien qui me proposait un poisson dont je ne me rappelle plus le nom. Bref, j’avais l’impression de vivre dans un film de Fellini, de vivre la Dolce Vita, quoi!
Et, là, j’ai vu Chéri sortir d’une église, tout sourire.
– Qu’est-ce que tu foutais?
– Je suis allé allumer un lampion pour les Canadiens de Montréal…
– (…)
– Tu me niaises, j’espère?
– Pantoute. De toute façon, tu ne peux pas comprendre…
J’ai fait un tour sur moi-même et je me suis dirigée tout droit au kiosque du beau Sicilien et je lui ai dit avec mon plus beau des sourires: «Dites, bello italiano, vous ne voudriez pas me kidnapper?»
Évidemment, il n’a pas compris un traître mot de ce que je lui disais. Chéri, lui, se marrait au loin, en me voyant essayer d’expliquer dans un mélange de français, d’anglais, parsemé ici et là de quelques mots d’espagnol et d’italien, que j’étais avec un homme, comment dire, aux croyances douteuses.
– O.K., arrête ton cinéma, ma belle, je t’amène manger les meilleures pasta…!, me lance Chéri.
– Ah là, tu parles!
Après avoir mangé toutes les pasta de la Sicile; après avoir flâné dans les rues de Taormina qui embaument le jasmin; après avoir goûté comme si c’était la première fois à un citron frais et m’être bourrée la face de ricotta de la Catane; après avoir monté pas à pas, le souffle court, le volcan Etna, appelé «Mongibello», volcan le plus actif de l’Europe; après m’être remplie la tête et le ventre de bonheur, le hasard, lui même s’il n’existe pas, voudra qu’à la fin de ce voyage nous nous soyons retrouvés à Rome pour la canonisation de Jean Paul II et de Jean XXIII. Un évènement jugé historique, dont j’avais sous-estimé l’ampleur.
Rome était «ensoutanée» pour l’occasion, si je puis m’exprimer ainsi. La grande Via de la Conciliazione qui mène au Vatican était une forêt de drapeaux multicolores. Quant à la place Saint-Pierre, elle, elle était noire de monde. Une foule de près d’un million de personnes venue prier pour l’occasion. Ça fait du monde à la messe, ça!
Mais l’énergie et le pacifisme qui régnaient sur place donnaient la chair de poule. C’était en fait très émouvant à voir. Et au-delà de la religion et des croyances, c’est dans une immense vague d’amour et de «zenitude» que nous nous sommes plongés.
Les mystères de Rome voudront que le dimanche matin, au début de la canonisation, une triste bruine tombe sur nous. On entend dans un bruit sourd chanter la litanie des Saints. Rome est comme sous une cloche de verre. Tranquillement la bruine cèdera gentiment sa place à un soleil timide.
J’ai à cet instant regardé le ciel, puis mon fils du haut de ses 13 ans, venu nous rejoindre à Rome. J’ai pris ensuite la main de Chéri, et remercié la Vie.
Marchant dans la foule en silence, j’ai vu un cardinal immortaliser le moment avec son Iphone. Ça m’a fait sourire.
Et c’est là que ça m’est revenu. J’ai dit tout de go à mon chum:
– Crois-tu que «tes Canadiens» vont gagner la coupe Stanley cette année?
– De quoi tu me parles?
– Bien aux nombres de lampions que tu as allumé pour eux… By the way, as-tu pensé à en allumer un pour souhaiter que la foule de fans soit aussi pacifique et dans l’Amour que celle-ci?
– T’es pas drôle!
– En tout cas, vous pourriez toujours demander à Santa Ginette (Reno) de faire un appel au calme si ça tourne mal.
– T’es pas drôle, pis chacun a le droit de voir le bon dieu comme il veut à sa porte!
Qui a dit que le sport n’était pas une religion?
Amen!