«Stay there girl, we’re not going anywhere…»

Par Josée Pilotte

Elle a dû me le répéter au moins cinq fois. Cinq fois. Au moins. J’ai arrêté de compter juste après les premières gouttes de sueur qui perlaient le long de mon front, puis coulaient de mon corps tout entier. J’étais complètement en nage. Pour dire la vérité je n’en pouvais tout simplement plus, j’avais l’impression que j’allais casser en deux. Et, comme une mouche qui te tourne sans cesse autour, elle me sifflait à l’oreille avec son accent du sud: «Stay there girl, we’re not going anywhere…»

Josée Pilotte

À ce moment très précis de l’histoire j’étais dans la position du «chien», les deux mains au sol, jambes fléchies, le derrière en l’air, et cette vieille texane qui appuyait sur mon dos pour aider ma souplesse et ma détente…stay there girl, stay there…

À ce moment très précis de l’histoire j’avais une envie folle de crier à cette femme du sud de me foutre la paix, que j’étais amplement capable de me détendre seule et que si je passais une minutes de plus dans cette position «de chien», soit j’allais m’écraser au sol telle une mouche qui s’écraserait sur un pare-brise, soit elle verrait ce qu’une «french-québeker» triballe comme jurons dans le fond de son sac!

Respire, respire…

Focusse. Fais la paix avec tes pensées, Jopi.

Mais. Je n’étais pas au bout de mes peines: la suite de cette longue, interminable torture physique et mentale n’était en fait qu’une mise en scène pour l’exécution de la prochaine position, le handstand. Se tenir en équilibre sur les mains. Au secours, suis-je bien dans un cours de yoga, moi là?!

Cette parenthèse yoga s’est déroulée lors de mon dernier voyage. À défaut d’avoir vu le soleil, j’en ai vu des salles de yoga. Peu importe vers où je me tournais, y’avait quelqu’un, quelque part qui enseignait le yoga. Une véritable épidémie yogiste-hawaïenne!

Faire le lotus sous les palmiers est maintenant à la mode, avoir l’air zen l’est encore plus.

En ce qui me concerne, j’ai eu l’air presque bonne quand la vieille Texane me retenait les deux jambes en l’air dans la fameuse position handstand… toutefois la vérité c’est que je ne me sentais plus du tout dans une position de yoga mais dans une performance du Cirque du Soleil. À trop vouloir «avoir l’air de», on est dépassé, on est à côté de nos pompes quoi! Toujours plus, même dans la zénitude. Faire des acrobaties, même dans le tantrisme. Pratiquer le bouddhisme olympique. Je vous le dis: l’époque dans laquelle on (sur)vit finira par nous tuer à force de vouloir «avoir l’air de»!

Combien de tortures subies, d’efforts de plus en plus surhumains, d’agitations en tous sens, simplement pour «avoir l’air» serein, en forme quand on se regarde soi-même sur Facebook… Que de crispations du corps et de l’âme pour «avoir l’air» calme et en contrôle sur les écrans où l’on projette nos vies, cherchant à les répercuter partout à la fois, oubliant que pour trouver l’essentiel il faut d’abord «traverser l’écran» et contempler la vie. Le reflet dans le miroir reste un reflet, rien de plus, un reflet à une seule dimension, celle – sacro-sainte aujourd’hui – de l’image. La nôtre.

L’image du film de notre vie, dont on veut à tout prix contrôler tous les aspects en s’improvisant à la fois acteur, scénariste, réalisateur et projectionniste! Je vous le demande: comment conjuguer tout cela, tous ces rôles… et rester zen?! Ah oui!, en maîtrisant la position du handstand, bien sûr!

À trop nous regarder, fascinés comme Narcisse noyé dans son propre reflet, dans ces images d’un soi idéalisé, on oublie de lever les yeux et de regarder le ciel…

Laissez-moi vous prédire que la prochaine «posture à la mode» sera de se faire balancer au milieu de nulle part, déconnecté de tout, seul au milieu de l’immensité du vide, pour ainsi mieux exister et enfin respirer la liberté d’Être.

Namaskar.

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