Vieux maudit

Par Josée Pilotte

Ça fait au moins deux ans que je le vois. Chaque fois je me dis in petto: «Tiens donc, il est encore là, le vieux tabarouette…»

Le dos tout courbé, vêtu comme un jeune collégien américain; il est là, fidèle, déterminé beau temps mauvais temps. Il court. Il jogge. Lui. Le vieux.

J’en suis même à tenir mentalement un registre de ses performances, ses changements vestimentaires, ses trajets. Si je n’avais pas peur du ridicule, je le suivrais en cachette pour savoir le kilométrage qu’il fait chaque matin!

Pourquoi? Peut-être qu’au fond il m’énerve: lui est là, sous la pluie comme sous le soleil, à courir pendant que moi, trop souvent, je suis assise dans mon char à me culpabiliser de ne pas le suivre. Oui! il m’énerve, mais le voir jogger dans les rues de Saint- Sauveur est aussi une formidable motivation, un moteur, un grand coup de pied au cul!

Tout comme Mariette, 80 ans, correctrice d’épreuves chez Accès depuis 11 ans, qui prend la tête de son club de marche plusieurs fois par semaine… tout comme Claude, 70 ans, responsable des Petites annonces du journal, qui a embarqué (presque) spontanément dans la séance hebdomadaire de mise en forme que l’équipe d’Accès a mis sur pied… tout comme grand-maman Maria, 84 ans, qui s’est mise au yoga et au taï-chi avec la fraîcheur d’une collégienne.
… C’est incroyable comme ils sont inspirants! Chaque fois je me dis: «C’est à ces vieux-là que je voudrais ressembler plus tard!»

Mais. Il y a aussi la mort d’un Claude Béchard qui nous glace les sangs. Quarante ans, bout-de-viarge! Ça devrait être interdit.

Le cancer. Encore…

Il est partout, dans nos télés, nos journaux, nos radios, nos pires cauchemars. Même dans les pubs de nos institutions financières. Je me dis que c’est probablement le retour du balancier d’une génération-cobaye (la mienne) sur laquelle tout a été testé «pour un monde meilleur»: OGM, pesticides, agents de conservation, engrais de pelouse, gras trans, fast-food, les micro-ondes, les pilules, etc…

La révolution tranquille nous a libérés de Dieu et du diable; la révolution industrielle nous les a ramenés sous une autre forme. Avant il fallait vivre une vie «moralement» exemplaire pour ne pas tenter le diable; aujourd’hui il faut vivre une vie «exemplairement» saine pour éloigner le spectre du cancer. Le cancer, c’est le diable du 21e siècle.

C’est quand même frustrant que les hippies des années 70, qui prônaient le retour à la terre, soient devenus ces baby-boomers parfois pathétiques qui ont vendu leur âme aux biologistes, aux chimistes, aux compagnies pharmaceutiques et autres apprentis-sorciers. Maintenant nous, nous n’avons plus choix, on doit regarder la réalité en face (de toutes façons, elle est là qu’on le veuille ou non). Oui!, on doit faire un retour à la terre et ce ne sera pas une «mode», un «mouvement»… oh! que non! Ce sera une question de survie, pour nous, pour nos enfants.

Tout ça donne le vertige.

Et dire que maintenant on voudrait faire de l’euthanasie un débat de société…

Parfois j’ai juste envie de regarder mon vieux joggeur aller.

Merci, vieux tabarouette.

J’arrive.

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