Voilez cette charte que je ne saurais voir
Par Josée Pilotte
Quand une petite fille lui avait demandé très spontanément: «Comment fait-on pour devenir intelligent?», le généticien Albert Jacquart lui avait répondu ceci: « Je ne sais pas comment devenir intelligent; ce que je sais toutefois, c’est comment devenir idiot. Il suffit d’être passif». -Par Josée Pilotte
J’aime cette réflexion…
L’inaction rend stupide, j’adore ça!
La semaine dernière le Parti Québécois a lancé la Charte des valeurs Québécoises, une charte hautement critiquée de tous les côtés, à voir tout ce qui défile dans les médias et sur les réseaux sociaux. Même dans les murs de ma propre tanière familiale les esprits s’échauffent… Notre petit Lou, du haut de ses 13 ans, essaie tant bien que mal de se faire sa propre opinion sur le sujet, c’est dire!
Chaque matin notre radio est syntonisée sur Radio-Can. Chaque matin je le vois tendre l’oreille en essayant de comprendre qui dit vrai entre Yves Boisvert et Mathieu Bock-Coté. Mais puisque Bock-Coté lui tape royalement sur les nerfs, Boisvert finit par emporter le débat!
Mais.
Souvent sur le chemin du retour de l’école, il développe de nouveaux arguments, de nouvelles interrogations, et une toute autre opinion de celle de la veille. Bref: il me touche de prendre (déjà, si tôt!) ces débats fondamentaux à cœur…
J’essaie de lui expliquer que les Québécois ont peur d’assister à une montée des intégrismes (de toutes sortes) et que si nous ne mettons pas dès maintenant selon notre gouvernement, des balises claires aux gens qui choisissent notre pays comme terre d’accueil, nous courrons alors vers un flou dangereux quant à notre Identité, celle que nous avons forgée avec le temps, beaucoup de courage et de subtilité (par exemple, en choisissant de pourfendre la toute-puissance de l’Église catholique
– qui avait cours jusque dans nos chaumières –, tout en reconnaissant son apport aux valeurs que nous avons décidé d’entériner: l’égalité entre les femmes et les hommes, la neutralité religieuse des institutions de l’État québécois, etc.
J’essaie de lui expliquer aussi que le port du voile est un symbole rétrograde et de soumission pour la plupart d’entre nous. Que le seul moyen d’enrayer cette peur qui nous tenaille, c’est d’interdire tous signes religieux, mais sans renier notre patrimoine en ce domaine. Je sais, c’est un peu paradoxal comme façon de penser, mais nous sommes ainsi faits les Québécois, on branle dans le manche pour un oui ou pour un non depuis le premier référendum de 1980 et nous sommes et seront toujours un peuple profondément divisé. Disons qu’entre toi puis moi, on fait dans le consensus mou, pas à peu près.
Mais je parle, je parle, tu sais qu’au fond, ce n’est peut-être pas si compliqué: nous avons tous le droit de pratiquer la religion qui nous plaît, mais le gouvernement veut qu’on le fasse dernière les portes closes de notre demeure, de notre mosquée, de notre synagogue, de notre temple, de nos églises…
C’est là que je le perds mon petit Lou, et qu’il me lance:
– Mais ne vit-on pas dans un pays libre?
Oui mais…
Tu vois, le Québec est un peu comme toi, Lou, il est jeune, il se cherche, il est en pleine crise identitaire. Le Québec a beaucoup de difficultés à établir ses propres bases, balises et limites; alors il se sent menacé, comprends-tu? Peut-être même qu’il n’a pas tort de se sentir menacé, je ne sais pas trop, puisqu’il a été sous l’emprise de l’Église catholique pendant 400 ans. Et même si aujourd’hui nos églises sont vides et qu’on a jeté le bébé avec l’eau du bain, ben… on tient à nos valeurs judéo-chrétiennes, tu comprends?
Bref: nous sommes un peuple qui se cherche toujours un pays, une identité, avec en arrière-toile la menace, cette même menace qui engendre la peur, la peur de l’autre surtout…
Tout ça pour te dire qu’on nage en pleines contradictions, mon Lou, et que nous sommes probablement en train de tenir un faux débat sur un faux problème.
Et puis, sais-tu?, c’est peut-être juste de la frime politique cette affaire-là… Disons que ça tombe bien en cette période (pré)électorale!
– Euh, je comprends plus rien à ce que tu me dis-là, M’man, mais j’ai une dernière question pour toi: Quand nous avons visité la Mosquée Bleue d’Istambul, tu as bien porté le voile, toi, non?
– (…)
– Ben: oui ou non?
– Oui. Oui, je me suis voilée par respect pour leur culture. Je l’ai fait parce que j’aurais aimé qu’on me respecte de cette même façon. Je me suis même pas questionnée si je devais ou pas, car c’est comme ça. Un point c’est tout.
– Ah ok, ça va être tout pour les questions… pour aujourd’hui. (…)