Femmes silencieuses

Par Frédérique David

Femmes silencieuses, c’est le titre d’un roman de Cristina Vanciu paru récemment chez Heliotrope. Le silence, c’est celui de ces femmes trop nombreuses, si nombreuses, tristement nombreuses, qui se disent : « À quoi bon la parole lorsque chacun choisit ce qu’il entend ? » Ces silences qui pèsent sur nos épaules à toutes et à tous, comme les échos de nos culpabilités collectives, de nos incompréhensions, de nos luttes sans cesse à refaire, de nos revendications étouffées par les boys club de ce monde. Ces silences qu’on voudrait cris, indignations. Ces silences qu’on espère un jour couverts d’amour, de rires, d’égalité, de reconnaissance et de respect.

Heliotrope publie aussi les formidables et essentiels écrits de la romancière et essayiste féministe Martine Delvaux, en lice pour le prix Médicis avec Ça aurait pu être un film. Ce magnifique roman-essai parle également de silence, d’effacement, d’ombre. Il parle de ces femmes dont l’œuvre reste à jamais derrière le succès et la reconnaissance d’un homme, celles dont l’identité se fond dans la notoriété de l’autre. Ces femmes réduites à un statut de muse muselée et qui rêvent pourtant d’exister.

Combien sont-elles à vivre dans le silence ? Combien sommes-nous à écouter ce silence d’une voisine, d’une mère, d’une amie, muselées nous aussi, complices impuissantes de ce qui nous révolte pourtant ? Certes, il y a eu cette avalanche libératrice et nécessaire de #MeToo, qui a ébranlé les colonnes d’un temple misogyne et sexiste, mais elle a aussi, malheureusement, alimenté une masculinité toxique désormais décomplexée. De nombreux politiciens et youtubeurs en font foi. On assiste « à un renforcement de tous les types de domination, symbolisé par l’élection à la tête du pays le plus puissant du monde d’un milliardaire professant une misogynie et un racisme décomplexés », constatait Mona Chollet dans Sorcières : la puissance invaincue des femmes.

Certes il y a ces femmes courageuses qui dénoncent haut et fort, comme Léa Clermont-Dion et Gisèle Pelicot, mais il y a aussi un système qui humilie, culpabilise, anéantit des femmes déjà brisées. Un système dépossédé de l’écoute empathique et de l’accompagnement humain nécessaires de ces femmes qui ont le courage de dénoncer. Il y a cette « tendance profondément enracinée dans notre société à rendre les femmes responsables de la violence qui leur est infligée » (Carol F. Karlsen dans The Devil in the Sharp of a woman).

Certes, il y a ces politiques d’équité, diversité et inclusion qui sont adoptées dans de nombreuses entreprises, ces formations obligatoires visant à prévenir et combattre les violences à caractère sexuel, mais il y a aussi cette culture du viol bien présente dans nos sociétés. Les révélations qui ont éclaboussé Hockey Canada concernent des événements survenus en 2018. Au Canada, 4 000 femmes et filles autochtones ont disparu entre 1956 et 2016, dans l’indifférence et le mépris. Une femme sur trois sera victime d’une agression sexuelle au cours de sa vie. Je suis une femme. J’ai vécu quatre agressions sexuelles avant l’âge de 25 ans. Je suis inquiète pour nos filles.

Éduquer pour comprendre

Il faudra d’autres Léa Clermont-Dion, Martine Delvaux, Mona Chollet, Virginie Despentes et j’en passe, pour faire résonner la voix de l’indignation et précipiter des changements. Il faudra aussi des hommes, parce qu’ils sont nombreux, heureusement, à vouloir mieux, tellement mieux, pour leurs mères, leurs conjointes, leurs sœurs, leurs filles, mais aussi pour tous les hommes qui les accompagnent.

Il faudra continuer de revendiquer un féminisme nécessaire à notre liberté, à l’exploration de nos désirs et de nos possibilités et à notre droit d’être en tant que femme, d’exister. Il faudra s’exposer encore, comme l’écrit si justement Mona Chollet, « à une sanction sociale, laquelle peut s’exercer simplement à travers les réflexes et les condamnations que chacun a intégrés sans y réfléchir, tant la définition étroite de ce que doit être une femme est profondément ancrée ».

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