La force de Billie

Par Frédérique David

Le 4 juillet dernier, pendant que mon fils soufflait ses 26 chandelles, Billie revenait d’un spectacle d’humour. Les années s’étaient écoulées depuis qu’ils avaient fréquenté la même classe, à l’école primaire de La Vallée de Saint-Sauveur. Ils menaient désormais leur vie d’adulte, avec leurs responsabilités, leurs accomplissements, leurs inspirations, leurs doutes, leurs rêves. Billie venait de s’acheter une maison avec sa blonde. Sa maman m’avait parlé avec fierté du parcours inusité de sa fille qui avait choisi de faire sa place dans le monde encore très masculin de la mécanique.

Les rires et la ferraille

Neuf mois plus tard, mon fils se prépare à devenir papa. Billie, elle, se remet doucement de la pire épreuve de sa vie. Le 4 juillet dernier, vers 22 h, un véhicule roulant à haute vitesse et conduite par une personne accusée d’avoir pris le volant avec des facultés affaiblies est entré en collision frontale avec l’auto que conduisait Billie, à Laval. Le violent impact a fait basculer sa vie : Billie a miraculeusement survécu, mais Marie-Jade, l’amour de sa vie, a succombé à ses blessures. Leurs rires et leur belle complicité qui résonnaient quelques heures plus tôt a laissé place à un gouffre de douleur et d’incompréhension. Leurs projets d’avenir sont restés dans ce tas de ferraille un soir de juillet qui s’annonçait léger. Et comme si le deuil n’était pas assez dur à traverser, Billie a passé neuf mois à reconstruire son corps brisé de la tête aux pieds.

Le goût de l’eau

Billie a appris trop vite combien la vie est fragile. Elle aurait préféré continuer de rire, rêver et bâtir les projets les plus fous, comme tous les jeunes de son âge. Elle n’a pas choisi de passer des semaines aux soins intensifs avec la mâchoire brochée et une trachéotomie, de subir des chirurgies et de réapprendre à marcher, un pas à la fois, tout en traversant un deuil.

Tant d’épreuves laissent indéniablement un goût amer quand on pense que c’est le prix à payer pour avoir été sur le chemin d’un conducteur qui a manqué de jugement. Que s’est-il passé dans sa tête? Billie ne veut pas vraiment le savoir parce qu’elle ne veut pas vivre dans la colère et lui donner plus qu’il ne lui a déjà pris. Alors elle s’accroche aux petits plaisirs de la vie, aux petits bonheurs qui se transforment en émerveillements. Elle me parle du goût de l’eau qu’elle apprécie à chaque gorgée après avoir été privée de boire pendant des semaines. Et puis Billie a découvert sa force de caractère et sa résilience. « Je suis super bien entourée aussi, me confie-t-elle. Mes amis, ma famille, tout le monde se mobilisent autour de moi. »

Les aléas financiers

Aujourd’hui, la vie de Billie est rythmée par les séances de physiothérapie et l’attente d’autres chirurgies. Elle marche avec une canne et s’en réjouit, mais d’autres épreuves l’attendent et pèsent lourd sur son anxiété. Les séquelles physiques de l’accident laissent présager qu’elle devra renoncer à sa carrière de mécanicienne, parce que le métier est trop physique pour son corps désormais fragilisé. De plus, la crise du système judiciaire provoque des reports dans le jugement de l’accident auquel elle souhaite assister, mais qu’elle appréhende néanmoins. Les protocoles et les contraintes administratives de notre société ne prennent jamais compte des paramètres humains. Et on parle ici d’un humain en deuil et en reconstruction physique !

Et puis Billie aimerait entrevoir le jour où elle pourra sortir de cette précarité financière dans laquelle cet accident l’a plongée, la contraignant à retourner vivre chez ses parents. Son père a lancé une levée de fonds pour alléger son fardeau déjà lourd à porter (Pour Billie, sur Gofundme).

Le sourire de Billie

Lors de notre conversation, Billie est passée du rire aux larmes. Son cœur n’est pas encore guéri et elle sait qu’elle restera à jamais marquée par cette terrible épreuve. Mais elle a le sourire et la détermination de sa maman, celle qui a joué tous les rôles pour elle au cours des neuf derniers mois, d’infirmière à cheerleader en passant par coiffeuse, selon Billie. « Ensemble, on a toujours trouvé le beau dans les pires situations », écrivait Billie à sa maman pour la Fête des mères.

Quelque part, à Morin-Heights, Billie se réjouit de marcher sous les premiers rayons de soleil du premier printemps d’une nouvelle vie. On la lui souhaite aussi prometteuse que son courage, aussi grande que sa force, aussi belle que son sourire.

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