Temps sombre pour les trans

Par Frédérique David

Jamais on aurait cru en arriver là. À un tel recul sociétal. À un retour en arrière dont nous mettait pourtant en garde Simone de Beauvoir lorsqu’elle disait « il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question ». La crise politique et économique actuelle menace bel et bien le droit des femmes, mais aussi le droit des minorités sexuelles et de genre. Les personnes transgenres sont certainement les plus exposées à la stigmatisation et aux discriminations. À l’heure où l’on évoque de plus en plus l’importance de se doter de règles, de politiques, de cultures équitables, inclusives et ouvertes à la diversité, on assiste parallèlement à un discours homophobe, transphobe et discriminatoire de plus en plus visible. Tandis qu’on tente de défaire certains stéréotypes sexuels dans les écoles, on observe des propos haineux décomplexés envers les communautés LGBTQ+ dans toutes les sphères de la société.

L’homophobie papale

Il y a eu le vocabulaire homophobe du pape dans un discours proclamé le 20 mai dernier au cours duquel il déplorait un excès de « pédés » dans les séminaires. Le Vatican a bien tenté, dès le lendemain, de nous convaincre d’une gaffe qu’il fallait lui pardonner. Nombreux sont les catholiques qui ont passé l’éponge, et ce ne sera pas la première fois! N’en demeure pas moins que rien, dans les propos du souverain pontife, ne permet d’entrevoir une lueur d’espoir d’ouverture, d’inclusion, à une époque où nous en aurions grandement besoin. Quant au fait qu’une personnalité de sa trempe s’autorise aussi ouvertement des propos discriminatoires, d’autres Trump l’ont fait avant lui. Désormais, tout est permis!

Des regroupements inquiétants

Et puisque les plus hauts représentants du pouvoir se permettent des propos condamnables selon les lois, mais visiblement acceptables aux yeux d’une société qui se fout désormais des règles de tolérance et de respect, la stigmatisation et l’exclusion se multiplient dans toutes les sphères de la société, usant des réseaux sociaux comme d’un formidable tremplin aux propos les plus discriminatoires. Récemment, des lettres étaient placées sur les pare-brises d’enseignants pour les mettre en garde contre le nouveau programme de Culture et Citoyenneté Québécoise (CCQ) qui entrera en vigueur en septembre et qui « représente une menace pour l’intégrité de nos enfants ». Rédigée par le « Regroupement de parents vigilants » (inspiré par l’Association des parents vigilants créée par Éric Zemmour en France?), la lettre évoque une « propagande LGBTQ+ ». Dans une vidéo d’appui, l’indigné principal de ce « regroupement » s’offusque que des drag queens puissent lire des histoires aux enfants, que la transidentité soit en progression ou que des groupes LGBTQ+ puissent « s’introduire dans nos écoles »! Inutile de s’étendre sur les propos clairement rétrogrades et discriminatoires de cette personne qui déclare que « la vision de la sexualité véhiculée par le MEQ nous effraie ». Je me demande bien qui effraie qui…

Ailleurs dans le monde

Ces quelques exemples ne sont que la pointe d’un iceberg qui grossit et nous mène à la dérive. Aux États-Unis, plus de 500 propositions de lois anti-trans ont été soumises au cours des deux premiers mois de 2024. En Hongrie et en Russie, la transition sexuelle est interdite ou fortement empêchée depuis 2023. Le Royaume-Uni a fermé le seul établissement de prise en charge de mineurs trans. Les sénateurs français ont mis en place un groupe chargé de se pencher sur ce qu’ils appellent la « trans-identification des mineurs » et des groupes anti-trans se créent et occupent des tribunes dans des médias nationaux. Bref, parallèlement à une montée de l’extrême droite dans de nombreux pays, on constate une augmentation des mouvements anti-genres. Les trans sont une des cibles principales de ces mouvements. Les discours homophobes d’hier sont désormais actualisés dans les discours transphobes ouvertement diffusés dans les sphères politiques et médiatiques.

Le 17 mai dernier, à l’occasion de la Journée internationale contre l’homophobie et la transphobie, la Fondation Émergence organisait une « marche à reculons » pour souligner que, « lorsque les droits des personnes LGBTPQ+ reculent, c’est toute la société qui revient en arrière ». Les membres de la communauté LGBTQ+ se font apostropher dans la rue et adresser des propos haineux, ce qui n’était pas le cas il y a quelques années. Les propos homophobes et transphobes sont affirmés sans retenue. Cette montée de l’intolérance doit nous inquiéter. « Ce ne sont pas nos différences qui nous divisent. C’est notre incapacité à reconnaître, à accepter et à fêter ces différences », écrivait l’autrice afro-américaine, féministe et lesbienne Audre Lorde.

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