Un « nous » fragilisé
Par France Poirier
Il s’est dit beaucoup de choses sur l’immigration ces derniers mois, beaucoup de faussetés aussi. Des statistiques pleuvent comme le reflet d’un problème dont on aurait perdu le contrôle. L’heure juste est difficile à rétablir en cette triste époque où les propos xénophobes sont relayés plus vite que l’entraide. La politique n’aide en rien quand, sous l’influence d’un odieux personnage mondialement (sur)médiatisé, l’insulte devient coutumière et la haine autorisée. De quoi nourrir des chroniqueurs populistes et des politiciens qui surfent sans scrupule sur la même vague. Certes, Jean Boulet a perdu le ministère de l’Immigration après avoir déclaré que « 80% des immigrants s’en vont à Montréal, ne travaillent pas, ne parlent pas français et n’adhèrent pas aux valeurs de la société québécoise ». Mais le mal était fait. Il a osé dire tout haut ce que trop de personnes peu renseignées pensent tout bas. Et on a eu le culot, de surcroît, de lui confier un autre ministère!
Les vrais chiffres
Dans les faits, le nombre d’immigrants qui s’installent à Montréal sont en baisse (65% en 2021), tandis que la régionalisation de l’immigration augmente. Dans les Laurentides, elle représentait 7% en 2021. On sait aussi que le taux d’emploi des immigrants installés à Montréal est quasi identique à celui des personnes nées au Canada (62,2% contre 63,3%). De plus, on observe une augmentation significative des taux de personnes immigrantes qui parlent français à leur arrivée (60,4% en 2020 contre 49,8% en 2019) et ce taux est de 88,4% chez les travailleurs qualifiés.
Outre ces statistiques, d’autres s’ajoutent pour démontrer que l’immigration répond à un besoin. Un rapport du Mouvement Desjardins, en juillet dernier, clamait sa nécessité pour contrebalancer une démographie vieillissante. Dans une récente conférence, l’économiste en chef du Mouvement Desjardins, Jimmy Jean, déclarait même que « ce qui a empêché d’avoir une récession au Canada, c’est l’immigration ».
Les vrais risques
Au Québec, les préoccupations pour la préservation de la langue, de la culture et des valeurs sont telles qu’il est trop facile et réducteur de voir l’immigration comme une menace. Cette discrimination mériterait parfois un cours d’histoire pour rappeler notamment comment les Autochtones ont été dépossédés de leurs terres, de leur culture et de leur langue, comme le rappelle Toula Drimonis dans son récent essai « Nous, les autres ».
S’il est sain de se questionner sur l’immigration au Québec, sur certains seuils à ne pas dépasser, sur les mesures d’accueil à mettre en place, les risques de raccourcis xénophobes et d’amalgames dangereux menacent ce vivre-ensemble que l’on était si prompt à démontrer pour accueillir des famille ukrainiennes fuyant une guerre ultra médiatisée. Actuellement, le Québec accueille 46% des réfugiés qui arrivent au Canada et cette disproportion rend tout à fait légitime les demandes du gouvernement au fédéral. Mais n’y voyons pas la cause de tous nos problèmes et évitons d’alimenter les influenceurs populistes.
Les vrais problèmes
Au printemps dernier, ma collègue Ève Ménard a consacré plusieurs articles bien documentés à l’immigration dans les Laurentides. Le logement arrivait en tête des problèmes rencontrés par les organismes d’accueil comme Le Coffret. Les presbytères de Prévost et de Sainte-Adèle ont même accueilli temporairement des familles de réfugiés. « Il n’y a plus de logements pas chers. Ça n’existe plus », affirmait Line Chaloux, directrice et fondatrice du Coffret, dans ces pages. Les Laurentides sont particulièrement touchées par ce problème avec la hausse incessante du marché immobilier de villégiature, accentué par le télétravail, qui fait grimper les prix. Et les gouvernements qui se sont succédés ont malheureusement fait preuve d’un réel désengagement dans le financement de nouveaux logements sociaux.
Les vraies solutions
Outre le développement de logements abordables et la mise en place de mesures de contrôle des loyers, les gouvernements devront réfléchir à « un rééquilibrage intelligent et sensible entre les besoins de migration économique et nos engagements internationaux envers les populations vulnérables du globe », comme le mentionnait si justement Marie-Andrée Chouinard, éditorialiste du Devoir.
Cependant, les débats sur l’immigration ne peuvent subir plus longtemps ces déplorables influences populistes qui menacent notre vivre-ensemble et notre démocratie. Face à une montée du racisme et de la xénophobie observée dans de nombreux pays, faisons preuve de sensibilité et de discernement pour serrer ces liens qui forment ce que Boucar Diouf nomme si joliment notre « courtepointe culturelle ».