(Photo : Emmanuel Daigle )
Quelque part dans la région du Khumbu, au Népal.

Expédition en haute altitude : Trouver le plaisir avant le sommet

Par Ève Ménard - Initiative de journalisme local

Le 28 septembre dernier, Emmanuel Daigle a officiellement lancé la 2e édition de Haute altitude, du trek à l’expédition, un guide de référence pour toute personne qui part à l’aventure en montagne. 

Tout y est pour se préparer adéquatement à une expédition en haute altitude : entraînement, équipement, nutrition, santé, médicaments et secourisme, entre autres. On parle de haute altitude à partir de 2 000 à 2 500 m au-dessus du niveau de la mer. Toutefois, plusieurs informations contenues dans le livre s’appliquent aussi à de la basse altitude. « Il y a un livre à lire et c’est celui-là. C’est ce que j’aurais aimé avoir quand j’ai commencé ma carrière », confie Emmanuel Daigle, qui réside à Sainte-Adèle depuis plusieurs années.

Plaisir et sécurité avant tout 

Emmanuel a environ 13 ans lorsqu’il vit sa première expérience de canot-camping. « Je trippais ma vie », se rappelle-t-il. C’est alors que naît son intérêt pour le plein air. Vers 15 ans, il s’initie à l’escalade de roche. Puis, à 22 ans, il vit son baptême en haute altitude : à l’été 1997, Emmanuel, deux amis chiliens et deux amis québécois se donnent pour défi de gravir les 5 424 m du Cerro El Plomo, au Chili. 

Emmanuel Daigle offre une formation sur le suivi de la santé en haute altitude accréditée par la fédération Rando Québec. (Photographe: Peter Popov)

L’expérience est particulièrement éprouvante : manque d’appétit, essoufflements, toux, difficulté à dormir et manque d’énergie. C’est seulement plus tard que l’Adélois réalise qu’il a probablement souffert d’un oedème pulmonaire. « J’aurais dû mourir là », raconte-t-il. Après cette première expérience difficile, Emmanuel décide de parfaire ses connaissances. Il commence aussi à guider des groupes et à donner des formations afin d’éviter le genre d’erreurs qu’il a lui-même commises. 

Aujourd’hui, les expéditions commerciales sont nombreuses en montagne. Le guide de trek en haute altitude voit affluer de nombreuses personnes, trop souvent inexpérimentées, vers les plus hauts sommets du monde. Les gens ne sont pas toujours bien préparés à ce genre d’expédition. C’est d’ailleurs ce qui motive son travail et l’écriture de son plus récent livre : Emmanuel Daigle veut offrir les outils nécessaires pour réaliser son rêve, dans le plaisir et en toute sécurité. L’amoureux de la montagne s’est assis avec le Journal pendant plus d’une heure pour une discussion passionnante. En voici un aperçu. 


Pour toi, le trek en haute altitude, c’est probablement le plus beau sport au monde. Mais ça peut aussi devenir le pire.

C’est ça qui m’énerve et que j’ai essayé de transmettre dans le livre : le plaisir. Les gens disent qu’ils ont réussi le Kili [Kilimandjaro]. Mais les photos où tu vomis ta vie, c’est ça que t’appelles une réussite ? Pour moi, c’est un échec. Il faut que tu aies du plaisir. Le sommet, on s’en fout. C’est seulement un point géographique, c’est une ligne que tu suis. Il faut garder le plaisir et malheureusement, si on regarde sur Internet, tout ce qu’on voit, c’est de la performance et de la souffrance, comme si c’était normal. C’est zéro normal de souffrir en montagne. […] Si tu ne feel pas, ce n’est pas normal. Ton corps a besoin d’un peu plus de temps et parfois, ça ne passe pas, pour toutes sortes de raisons. La plus belle expédition que j’ai faite de ma vie, c’est au Denali en Alaska. Et j’ai arrêté alors qu’on était à environ 300 m du sommet. 

Pourtant, on met souvent l’accent sur les records de vitesse et sur la souffrance en haute altitude. Est-ce que ce genre de médiatisation vient ternir l’image de ce sport ?

Oui et ça enlève tout le charme de la montagne. Quand quelqu’un vient me voir et me dit « je veux monter telle montagne », ma première question c’est « pourquoi ? ». Souvent, les gens ne se sont même pas posé la question. C’est important, il devrait y avoir une raison plus que « c’est la plus haute ». Si tu grimpes une montagne parce que c’est la plus haute, si tu n’arrives pas au sommet, tu vas être déçu. Tu vas considérer ça comme un échec. Alors toute ta préparation, tout ce que tu as fait, ça ne compte pas ? Pour moi, ça ne fait aucun sens. 

Emmanuel Daigle en compagnie d’un groupe qu’il guide dans la région des Annapurnas, au Népal. (Photographe : François Léger-Savard)

As-tu déjà été témoin d’événements tragiques dans tes expéditions ? 

Par chance, je n’ai pas eu de clients qui sont décédés. Mais j’en ai vu et j’en ai secouru beaucoup. Ça brasse tout le temps, c’est beaucoup d’émotions. J’ai toujours été sécuritaire dans mon approche. On m’appelait même « Monsieur Sécurité » et on me niaisait avec ça. Mais ça ne veut pas dire que je suis parfait. Au contraire, à chaque expédition, j’essaie de m’améliorer. Je me demande : « est-ce que ça aurait pu mieux aller »? […] La grande majorité des accidents en montagne auraient pu être évités. C’est pour ça que le livre existe, que l’Académie [l’Académie Haute Montagne, plateforme de formation en ligne fondée par Emmanuel] existe. 

Combien de temps dois-tu partir pour une expédition, lorsque tu es guide ? 

Normalement, un projet, c’est un mois, parce que j’arrive avant le groupe. J’en profite pour donner gratuitement de la formation aux gens locaux. Au Népal, ils n’ont pas accès à des formateurs. Alors j’offre de la formation aux guides locaux. C’est quelque chose de tellement important pour moi que le livre sera même traduit en népalais. C’est la première fois qu’un livre de montagne est traduit dans cette langue, alors que c’est là-bas que tout se passe ! Je voulais redonner à ce peuple qui m’a tellement aidé et qui est tellement fabuleux. 

Un groupe de guides népalais est formé par Emmanuel Daigle. (Photographe: Sandra Mathieu)

Est-ce que cette sensibilité pour les peuples locaux se traduit dans la manière dont tu accompagnes les groupes ?

Bien sûr. Si avec mon groupe, on va au camp de base de l’Everest, je ne leur dis pas qu’on va au camp de base de l’Everest. Je leur dis qu’on va au Népal, qu’on va rencontrer des Népalais. On s’en va côtoyer un peuple fantastique et oui c’est vrai, by the way, il y a une toile de fond qui s’appelle l’Himalaya et peut-être qu’on va se rendre jusqu’à un point qui s’appelle le camp de base de l’Everest. Mais voyez-vous comment c’est secondaire ? C’est la rencontre avec le peuple qui, pour moi, est primordiale. Et elle se fait dans un décor fabuleux et un environnement de haute montagne. C’est avec cette mentalité-là que j’amène les gens en montagne. Puis, tu reviens et tu n’es plus du tout pareil. 

Qu’est-ce qui a changé le plus dans ta perception des choses, depuis que tu pratiques le trek en haute altitude ? 

Je pense que ça remonte surtout à l’escalade de roche. Dès 15 ans, j’ai appris à vivre dans le moment présent. Parce qu’en escalade de roche, c’est ta vie qui en dépend : tu vas mourir si tu ne fais pas les bonnes manœuvres. C’est très précis et technique et ça t’oblige à être focus sur ce que tu fais là, maintenant. Tu ne penses pas à autre chose. Depuis ce jeune âge, je suis donc capable de faire quelque chose et de ne plus penser à rien d’autre.  

Un magnifique paysage lors d’une aventure au camp de base de l’Annapurna au Népal. (Photographe: Sandra Mathieu)

L’ordre des questions et la longueur des réponses ont été ajustés pour faciliter la lecture.

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